Le paternalisme industriel à Mulhouse

Mulhouse et le paternalisme industriel


Idée-force : Au XIXᵉ siècle, Mulhouse développe un paternalisme industriel original : porté par une bourgeoisie protestante libérale, il combine contrôle social et volonté affichée d’« émanciper » l’ouvrier – principalement par le logement, l’éducation, la santé et l’accession à la propriété.
1. Les racines mulhousiennes du paternalisme
Mulhouse, majoritairement réformée depuis 1529, voit sa bourgeoisie textile (Dollfus, Koechlin, Zuber…) ériger très tôt des institutions communes :
Société industrielle de Mulhouse (SIM, 1826) : lieu d’échanges techniques et de réflexion sociale12.
Discours fondateur : « Le fabricant doit à ses ouvriers autre chose que le salaire » (Jean Dollfus, 1826)34.
Cette posture philanthropique s’inscrit à la fois dans l’éthique protestante du devoir social et dans le libéralisme politique alors dominant52.

Objectifs annoncés :
Fixer une main-d’œuvre qualifiée près des usines.
Moraliser par la vie familiale, le jardin et la sobriété (sélection-réglementation-incitation)711.
Émanciper via l’accession à la propriété (différence avec le « berceau-tombe » schneiderien du Creusot)12.
Malgré ce discours, les règlements de la SOMCO (surveillance, choix des locataires, interdiction d’auberges…) traduisent un contrôle social étroit7.
3. Au-delà du logement : un réseau d’« œuvres » paternalistes
Domaine
Réalisations patronales
Portée
Santé et petite enfance
Association des femmes en couches (1862) financée par DMC : congé payé, aide médicale13
Réduction de la mortalité infantile
Hygiène
Bains-douches et lavoirs gratuits à Dornach pour les ménages Dollfus14
Amélioration de l’hygiène ouvrière
Éducation
Écoles publiques gratuites dès 1831, puis cours professionnels soutenus par la SIM2
Formation technique et civique
Épargne & prévoyance
Caisses d’épargne, de retraite, de secours mutuels42
Stabilisation de la main-d’œuvre
Loisirs & sport
Sociétés gymniques, vélo-clubs ; le sport vu comme outil de discipline43
Encadrement du temps libre



Jean Dollfus fait même réduire la journée de travail, convaincu du gain de productivité15.
4. Spécificités et limites du modèle mulhousien
Protestantisme et réseau familial : l’élite est soudée par la parenté, la franc-maçonnerie et une théologie du travail comme vocation216.
Philanthropie vs paternalisme : des historiens (M-C Vitoux) soulignent le but affiché d’émanciper l’ouvrier par la propriété, nuance absente chez Schneider ou Michelin12.
Efficacité relative : l’étude de Prohin montre une « effectivité limitée » du contrôle ; nombre d’ouvriers restent locataires et la cité n’empêche pas l’apparition d’une conscience ouvrière7.
Évolution : après 1923, la SOMCO devient un organisme HLM puis un bailleur social de 5 600 logements, perpétuant l’héritage mais sous un cadre public1718.
5. Héritages contemporains
Le quartier de la Cité ouvrière, toujours habité, est labellisé patrimoine remarquable et inspire la Cité Manifeste (Jean Nouvel, 2004)9.
Les valeurs d’accession sociale et de qualité architecturale restent au cœur de la stratégie de la SOMCO17.
La notion de « responsabilité sociale de l’employeur », désormais légalisée, trouve à Mulhouse l’un de ses terrains pionniers.
Conclusion
Le paternalisme mulhousien articule étroitement philantropie protestante, libéralisme économique et contrôle social. Son originalité réside moins dans la variété des œuvres (logements, santé, éducation) que dans l’accès programmé à la propriété, conçu comme levier d’autonomie morale. Si ce projet n’a pas aboli les rapports de force industriels, il a durablement marqué l’urbanisme, la politique du logement social et l’identité de la « Manchester française ».













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