Histoire de la Société alsacienne de constructions mécaniques de Mulhouse

Les origines (1826-1872)

L’histoire de la Société alsacienne de constructions mécaniques (SACM) débute en 1826 avec la création de l’entreprise André Koechlin & Cie par André Koechlin, industriel et homme politique français12. Koechlin, issu d’une famille de notables protestants mulhousiens, comprend que le tissage mécanique représente un marché d’avenir et décide de se lancer dans la construction mécanique34.

La première usine, construite dans le jardin de la propriété Koechlin sur 9 hectares près du Hasenrain, était initialement dédiée à la fabrication de machines à tisser56. André Koechlin s’associe avec les industriels anglais Sharp et Roberts pour une installation « clé en main » d’une usine de fabrication complète de machines textiles34. En homme d’affaires avisé, il rembourse ses associés en dix ans et devient l’unique dirigeant de l’entreprise53.

L’activité se diversifie rapidement. À partir de 1830, l’entreprise développe la construction de machines textiles pour le tissu et d’impression sur étoffes5. En 1834, André Koechlin & Cie devient le premier producteur français de métiers à tisser avec près des trois quarts des métiers installés en France7.

La diversification vers la construction ferroviaire s’amorce en 1837 suite à la crise du textile7. En 1839, André Koechlin ouvre officiellement l’atelier de construction mécanique pour la production de locomotives18. Cette même année sort des ateliers la première locomotive alsacienne, la « Napoléon », destinée à la ligne de chemin de fer Mulhouse-Thann construite par Nicolas Koechlin, cousin d’André384.

L’entreprise connaît un développement spectaculaire. En 1839, elle emploie déjà 1 800 personnes9. En 1842, elle devient le plus grand constructeur français de locomotives avec 22 unités produites9. En 1864, André Koechlin & Cie fête la construction de sa 1000e locomotive10.

La création de la SACM (1872-1890)

L’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne en 1871 bouleverse profondément l’organisation de l’entreprise111. Cette situation entraîne le repli d’une partie de la production à Belfort sur le territoire français1. En 1872, pour faire face à la puissance de la concurrence allemande, l’entreprise André Koechlin fusionne avec les « Ateliers de Graffenstaden » appartenant à Alfred Renouard de Bussierre1312.

Cette fusion donne naissance à la Société alsacienne de constructions mécaniques (SACM)12. La société, divisée en deux entités, conserve ses installations côté français mais également allemand sous le nom d’Elsässische Maschinenbau-Gesellschaft Grafenstaden (EMBG)113.

La production des locomotives s’effectue alors sur trois sites1 :

  • Graffenstaden et Mulhouse pour la production allemande
  • Belfort pour la production française

En 1890, la SACM se transforme en société de droit allemand sous la raison sociale d’Elsässische Maschinenbau Gesellschaft (ELMAG)1.

La période allemande et la Première Guerre mondiale (1890-1918)

La période allemande est marquée par plusieurs tensions. En 1912, lors de « l’affaire de Graffenstaden », les ouvriers de l’usine qui avaient chanté La Marseillaise sont accusés d’agitations anti-allemandes. Ils sont obligés d’accepter le remplacement de leur patron, jugé trop francophile, par un directeur allemand sous peine de ne plus obtenir de commandes1.

En 1913, à la suite de cette affaire, la société est scindée en deux entités de nationalité différente : l’ELMAG, qui conserve les usines de Mulhouse et de Graffenstaden, et la Société alsacienne de constructions mécaniques de Belfort1.

Pendant la Première Guerre mondiale, l’entreprise subit de plein fouet les conséquences du conflit. Placée sous surveillance le 11 novembre 1914, la SACM est mise sous séquestre le 22 avril 1915 car 65% des actions se trouvent entre des mains françaises ou alliées14. L’usine fonctionne au ralenti, les deux tiers de son carnet de commandes étant destinés à la France ou à ses alliés14.

L’entre-deux-guerres et l’expansion (1918-1940)

Après la Première Guerre mondiale, l’organisation est réorganisée1 :

  • Les usines de Mulhouse et Graffenstaden sont reconverties pour la production française de locomotives à vapeur
  • L’usine de Belfort se spécialise dans la construction de locomotives électriques

En 1923, la SACM emploie à Mulhouse 5 469 salariés (4 940 ouvriers et 529 employés), tandis que le groupe compte 16 000 salariés répartis sur 8 usines10. En 1924, la nouvelle fonderie mécanisée, construite par l’architecte Paul Marozeau, devient opérationnelle210.

Pour le centenaire en 1926, la production cumulée depuis 1826 impressionne : 1 528 machines à vapeur, 3 200 chaudières, 150 000 machines de filature de coton, 1 150 machines à imprimer sur étoffes, 42 000 machines de filature de laine, 7 500 locomotives à vapeur et 5 000 tenders, 22 000 machines-outils, 170 moteurs à gaz1510.

Un événement majeur se produit en 1928 : Thomson-Houston fusionne avec une partie de la SACM pour former Alsthom (contraction d’ALSace-THOMson), société de construction électromécanique11617. Les activités sont alors séparées entre les firmes SACM et Alsthom1.

Dans les années 1920, la SACM coopère avec Renault dans la production de véhicules purement électriques, notamment les Renault-SACM (1925) et Renault-SACM Omnibus (1928)1.

La Seconde Guerre mondiale (1940-1945)

En 1940, l’Alsace et la Lorraine sont à nouveau annexées au Reich allemand1. L’usine d’Illkirch-Graffenstaden est placée sous le contrôle de la Magdeburger Werkzeugmaschinenfabrik et produit des tours Magdebourg pour diverses usines d’armement tout en continuant la fabrication de locomotives1.

La production se concentre sur des locomotives pour l’Allemagne : types 150 série BR 44, BR 50 et BR 521. En 1942, avec le lancement du programme Kriegslokomotive (locomotive de guerre) par Albert Speer, la SACM produit 139 engins sur les 7 500 produites par la quinzaine d’usines du Reich pendant la guerre1. L’usine emploie alors 6 000 personnes, majoritairement des prisonniers russes ou ukrainiens1.

Des mouvements de résistance s’organisent au sein de l’entreprise. Des apprentis et des salariés créent le groupe de résistance « Feuille de Lierre », qui est démantelé en 1943 par les Allemands1.

L’après-guerre et les transformations (1945-1989)

Après la Libération, la SACM reprend ses activités sous pavillon français. Dans les années 1945-1953, elle construit vingt-neuf locomotives à vapeur de configuration 030T, surnommées « Hannibal », destinées à la sidérurgie, l’armée, les houillères et les chemins de fer secondaires1819.

En 1951, la SACM commence la fabrication, sous licence MAREP, des moteurs Diesel MGO1. Cette diversification vers les moteurs diesel marque un tournant important dans l’histoire de l’entreprise.

L’entreprise connaît plusieurs restructurations. En 1966, elle devient filiale de la Société Hispano-Alsacienne de Constructions Mécaniques (SHACM), puis de la Société Alsacienne de Participations Industrielles (ALSPI)1. En 1970, la création de la société Alcatel est obtenue par fusion de la Compagnie industrielle de téléphone (CIT) et du département ENTE de la SACM1.

Le déclin et la fermeture (1980-2000)

En 1982, la SACM filialise son département de construction de machines textiles en dissociant les branches de construction de moteurs (SACM-M) et de machines textiles (SACM-T)110. La SACM-T ferme définitivement ses portes en août 1986110.

En 1989, la SACM-M devient SACM-DIESEL après sa fusion-absorption avec plusieurs filiales, dont la Société Surgérienne de Construction Mécanique120. L’entreprise devient alors filiale à parité de parts de l’ALSPI et du groupe finlandais Wärtsilä Diesel1.

En 1993, l’entreprise change de raison sociale en devenant Wärtsilä SACM Diesel, le groupe finlandais prenant le contrôle total de l’entreprise mulhousienne120. De 1995 à 2000, une coentreprise associe Wärtsilä et Cummins sous le nom de « Cummins-Wärtsilä »1.

La SACM cesse définitivement ses activités en 1999 après 173 ans d’existence2122. Le dernier secteur Diesel ferme au début des années 20001.

Reconversion et patrimoine

Depuis la fin des activités, une partie importante des friches industrielles a été réhabilitée. L’ancienne fonderie a été transformée en extension de l’université de Haute-Alsace, tandis que le bâtiment B23 est devenu le siège de KMØ, un écosystème regroupant des acteurs de l’industrie et du numérique123.

La SACM a marqué l’histoire industrielle française par sa capacité d’innovation et d’adaptation. De la production de machines textiles aux locomotives, en passant par les moteurs diesel et même les armes (pistolet automatique Modèle 1935A), l’entreprise a su évoluer avec son époque tout en conservant son ancrage mulhousien pendant près de deux siècles.

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