Alfred Dreyfuss

L’affaire Alfred Dreyfus en France

L’affaire Dreyfus constitue l’une des crises politiques et sociales les plus profondes de la Troisième République française. Cette tragédie judiciaire, qui s’étend de 1894 à 1906, transforme un capitaine d’artillerie alsacien en symbole universel de l’injustice et de la lutte pour la vérité. L’histoire d’Alfred Dreyfus incarne les tensions de la France de la fin du XIXe siècle, divisée entre nationalisme et républicanisme, tradition et modernité, antisémitisme et tolérance.

Un Alsacien au Service de la France

Les Origines Familiales et la Formation

Alfred Dreyfus naît le 9 octobre 1859 à Mulhouse, dernier enfant d’une fratrie de neuf, dans une famille juive prospère et parfaitement assimilée12. Son père, Raphaël Dreyfus, ancien colporteur originaire de Rixheim, avait bâti une fortune considérable dans l’industrie textile mulhousienne13. Sa mère, Jeannette Libmann Weil, d’origine lorraine, était couturière1. Les Dreyfus représentaient cette bourgeoisie juive alsacienne profondément attachée aux valeurs républicaines et patriotiques.

La défaite de 1870 et l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne marquent profondément la famille14. Lorsque le traité de Francfort est signé le 21 mai 1871, Raphaël Dreyfus fait le choix décisif d’opter pour la nationalité française pour lui et ses enfants mineurs14. Cette décision, lourde de conséquences, oblige la famille à s’installer à Paris tout en conservant l’usine textile de Mulhouse13. Alfred est alors envoyé à Bâle puis à Paris pour ses études14.

L’École Polytechnique et la Carrière Militaire

Le jeune Alfred poursuit sa scolarité au collège Sainte-Barbe à Paris, où il prépare le baccalauréat puis l’École polytechnique54. En 1878, il réussit le concours d’entrée, se classant 182e sur 236 candidats56. Cette admission après une seule année de classes préparatoires témoigne de ses capacités intellectuelles remarquables6. Il sort de l’École en 1880, classé 128e sur 235 élèves, et choisit l’artillerie comme arme57.

Sa formation militaire se poursuit à l’École d’application de Fontainebleau, d’où il sort lieutenant en 188257. Très bien noté par ses supérieurs, il gravit rapidement les échelons: lieutenant au 31e régiment d’artillerie du Mans, puis capitaine en septembre 188957. Sa carrière exemplaire le conduit à l’École supérieure de guerre en 1890, où il obtient son brevet d’état-major en 1892, classé 9e sur 81 avec la mention « très bien »57.

Cette brillante formation lui ouvre les portes de l’état-major de l’armée, où il est affecté comme stagiaire en 189385. Sa compétence et son dévouement au service de la France semblent alors lui promettre une carrière exceptionnelle. Parallèlement à sa vie militaire, Alfred épouse en 1890 Lucie Eugénie Hadamard, issue d’une famille républicaine distinguée52. Le couple aura deux enfants, nés en 1891 et 18935.

La Machination Judiciaire

La Découverte du Bordereau

En septembre 1894, un document manuscrit anonyme, surnommé le « bordereau », est intercepté par les services de renseignement français dirigés par le lieutenant-colonel Sandherr910. Ce document, récupéré dans une corbeille à papiers de l’ambassade d’Allemagne par l’agent Mme Bastian, annonce la transmission de documents militaires secrets à l’attaché militaire allemand Maximilian von Schwartzkoppen910.

L’enquête interne menée par le contre-espionnage français aboutit rapidement à la conclusion que l’auteur du bordereau serait un officier stagiaire d’artillerie ayant accès aux informations mentionnées910. Les soupçons se portent sur Alfred Dreyfus, dont l’écriture présente des similitudes avec celle du document910. Cette ressemblance graphologique, combinée aux préjugés antisémites ambiants, en fait rapidement le suspect idéal811.

L’Arrestation et le Premier Procès

Le 15 octobre 1894, Alfred Dreyfus est convoqué au ministère de la Guerre sous un faux prétexte1110. Le commandant du Paty de Clam, chargé de l’enquête, lui fait subir une dictée puis l’arrête en l’accusant de haute trahison1110. Dreyfus, totalement surpris, proteste véhémentement de son innocence1110. Une perquisition est effectuée à son domicile, mais ne révèle aucune preuve compromettante11.

L’instruction judiciaire, confiée au commandant d’Ormescheville, se révèle particulièrement défaillante1110. Malgré l’absence de preuves matérielles et les témoignages favorables à l’accusé, l’enquête se poursuit sous la pression de la presse antisémite1110. Le journal « La Libre Parole » d’Édouard Drumont mène une campagne violente contre « l’officier juif », attisant les passions nationalistes et antisémites910.

Le procès s’ouvre le 19 décembre 1894 devant le premier conseil de guerre de Paris, présidé par le colonel Maurel1211. L’accusé est défendu par Maître Edgar Demange, célèbre pénaliste qui plaide l’acquittement1211. Mais les débats sont faussés par la communication illégale d’un « dossier secret » aux juges, à l’insu de la défense1211. Ce dossier, préparé par la Section de statistique, contient des documents authentiques ou fabriqués censés prouver la culpabilité de l’accusé1211.

Le 22 décembre 1894, le conseil de guerre déclare Alfred Dreyfus coupable à l’unanimité et le condamne à la déportation perpétuelle et à la dégradation militaire1211. Cette condamnation, rendue possible par la communication illégale du dossier secret, constitue une violation flagrante des règles de procédure1211.

La Dégradation Publique

La cérémonie de dégradation se déroule le 5 janvier 1895 dans la cour d’honneur de l’École militaire de Paris, devant une foule hostile de 4000 soldats et 20000 civils1314. Alfred Dreyfus, escorté par six artilleurs sabre au clair, avance au centre d’un carré formé par les détachements de la garnison parisienne1516.

Le général Darras, grand officiant de la cérémonie, lit le jugement avant que l’adjudant Bouxin procède à l’arrachage systématique des insignes: galons d’or du képi et des manches, épaulettes, boutons dorés du dolman noir, bandes rouges du pantalon1516. Le sabre est brisé sur la cuisse du condamné et les tronçons jetés à terre1516.

Tout au long de cette humiliation publique, Dreyfus maintient sa dignité et clame son innocence face à la foule qui hurle « À mort Judas! Mort au juif! »1516. Il crie vers l’armée: « Soldats, on dégrade un innocent! Soldats, on déshonore un innocent! Vive la France! Vive l’armée! »1516. Cette cérémonie, conçue pour briser moralement l’accusé, révèle au contraire sa force de caractère exceptionnelle.

L’Exil au Bagne de l’Île du Diable

Le Voyage et l’Arrivée en Guyane

Après sa dégradation, Alfred Dreyfus est incarcéré à la prison de la Santé jusqu’au 17 février 18951517. Il est ensuite transféré au dépôt des forçats de Saint-Martin-de-Ré, où il est détenu durant 36 jours dans des conditions déjà très difficiles1517. Le 21 février 1895, il embarque depuis l’île d’Aix sur le « Ville-de-Saint-Nazaire » à destination de la Guyane1517.

Le voyage vers l’enfer tropical dure plusieurs semaines. Le navire accoste à l’île Royale le 8 mars 1895, où Dreyfus est gardé secrètement pendant cinq jours1517. Le 13 mars, il débarque enfin sur l’île du Diable, ce rocher stérile de 1200 mètres de long sur 400 mètres de large qui sera sa prison pendant plus de quatre ans1718.

Les Conditions de Détention Inhumaines

L’île du Diable, baptisée ainsi par les Indiens galibis qui en avaient fait la résidence de l’esprit du mal, offre un cadre particulièrement hostile1817. Alfred Dreyfus y remplace des bagnards atteints de la lèpre, devenant symboliquement « le lépreux de la France »17. Sa case, de forme carrée et de quatre mètres de côté, construite en pierre, ne dispose que d’une seule fenêtre munie de barreaux de fer17.

Le régime carcéral est d’une rigueur extrême. Un surveillant militaire se tient en permanence dans un tambour adjacent à la case, et celle-ci doit rester éclairée toute la nuit17. Dreyfus ne peut jamais être perdu de vue, même pendant son sommeil17. Le personnel de surveillance, composé de cinq gardiens dont un sous-officier, est spécialement choisi parmi les soldats « de race arabe » pour créer une barrière linguistique supplémentaire17.

Les autorités vivent dans la hantise constante d’une évasion. En septembre 1896, des rumeurs d’un projet d’évasion depuis l’extérieur affolent l’administration pénitentiaire17. Une nouvelle case est construite, entourée d’une double palissade, et pendant les travaux qui durent un mois et demi, Dreyfus doit avoir chaque nuit les chevilles entravées à la « double boucle », reliée à une barre de fer forgée au pied de son lit17.

Pour renforcer encore la surveillance, une caserne pour vingt surveillants et une tour de fer de vingt mètres de haut munie d’un canon Hotchkiss sont édifiées au sommet de l’île17. Malgré ces conditions inhumaines, Dreyfus puise dans ses ressources morales exceptionnelles la force de survivre et de maintenir sa dignité.

La Résistance Morale et Physique

Durant ses 1517 jours de détention, Alfred Dreyfus fait preuve d’une résilience remarquable19. Il tient un journal détaillé de sa captivité, écrit des lettres à sa famille et maintient une activité intellectuelle intense malgré l’isolement1719. Il peut recevoir du courrier soumis à la censure, ainsi que des livres et des revues contrôlés par l’administration17.

Sa correspondance avec sa femme Lucie et son frère Mathieu lui permet de garder espoir et de suivre, partiellement, les développements de son affaire1719. Il effectue des achats auprès d’un commerçant de Cayenne: conserves, eau en bouteille, vin, linge, savon, maintenant ainsi un semblant de normalité dans des conditions extrêmes17.

Malgré ses efforts surhumains pour survivre, sa santé s’étiolle progressivement17. L’administration pénitentiaire, redoutant une issue fatale qui jetterait la suspicion sur elle au moment où débute en métropole une campagne pour la révision du procès, fait édifier en 1897 une case plus spacieuse face à l’île Royale17. Cette nouvelle construction, entourée d’une seule palissade délimitant une courette, permet enfin à Dreyfus de s’aérer le jour, bien qu’elle ne lui offre aucune vue sur la mer17.

La Découverte de la Vérité

L’Enquête du Lieutenant-Colonel Picquart

En mars 1896, un nouveau document arrive à la Section de statistique: le « petit bleu », un télégramme de l’attaché militaire allemand Schwartzkoppen adressé au commandant Ferdinand Walsin Esterhazy209. Le lieutenant-colonel Georges Picquart, qui a pris la direction du service de renseignement en juillet 1895, découvre rapidement que ce document implique directement Esterhazy dans l’espionnage209.

Picquart, brillant officier alsacien né à Strasbourg en 1854, mène une enquête approfondie2122. Il découvre que l’écriture d’Esterhazy présente des similitudes troublantes avec celle du bordereau qui avait servi à condamner Dreyfus209. Plus troublant encore, il réalise que le dossier secret utilisé lors du procès de 1894 est vide de preuves réelles1523.

En octobre 1896, Picquart confie ses découvertes à son supérieur, le général Gonse, sous-chef d’état-major2324. Celui-ci lui répond de manière révélatrice: « Si vous ne dites rien, personne ne le saura »23. Cette réaction montre que l’état-major préfère maintenir l’erreur judiciaire plutôt que de reconnaître son erreur2324.

La Résistance de l’État-Major

Face aux révélations de Picquart, l’état-major organise une véritable conspiration pour étouffer la vérité2524. Le commandant Henry, adjoint de Picquart, fabrique un faux document destiné à accabler davantage Dreyfus2025. Picquart lui-même est écarté de Paris par des « ordres de mission » qui l’éloignent du service de renseignement2524.

En novembre 1896, les généraux Gonse, de Boisdeffre et le ministre de la Guerre Billot manifestent de vives réticences à l’idée de rouvrir le dossier Dreyfus25. Ils établissent secrètement des relations avec Esterhazy pour résister à une éventuelle offensive des dreyfusards25. Cette collusion entre l’état-major et le véritable traître illustre l’ampleur de la corruption institutionnelle.

L’Offensive des Dreyfusards

En juin 1897, Picquart, convaincu de sa disgrâce, confie ses découvertes à son ami l’avocat Leblois2524. Celui-ci en parle sous le sceau du secret à Auguste Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat, qui affirme publiquement sa conviction de l’innocence de Dreyfus2524. L’engagement de cette personnalité respectée a un grand retentissement dans l’opinion publique25.

En novembre 1897, Mathieu Dreyfus, qui a découvert indépendamment la culpabilité d’Esterhazy, dénonce ce dernier au ministre de la Guerre25. Cette dénonciation publique oblige l’état-major à traduire Esterhazy devant le conseil de guerre pour sauver les apparences25. Le procès s’ouvre le 10 janvier 1898, mais Esterhazy est acquitté à l’unanimité après seulement trois minutes de délibération25.

Cet acquittement scandaleux, qui rend théoriquement impossible toute réouverture du dossier Dreyfus, constitue le détonateur de la crise25. Le 13 janvier 1898, Picquart est mis aux arrêts et Scheurer-Kestner perd la vice-présidence du Sénat25. La victoire des antidreyfusards semble totale et définitive, mais elle ne fait que préparer l’explosion à venir25.

L’Explosion de l’Affaire

« J’Accuse…! » d’Émile Zola

Le 13 janvier 1898, au lendemain de l’acquittement d’Esterhazy, Émile Zola publie dans « L’Aurore » sa célèbre lettre ouverte au président de la République Félix Faure2627. Ce pamphlet de quatre pages, titré « J’accuse…! » par Georges Clemenceau, constitue un réquisitoire implacable contre les responsables de l’erreur judiciaire2627.

Zola y dénonce nommément les acteurs de la machination: « J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’affaire […] J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle […] J’accuse enfin le premier Conseil de guerre d’avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète »2728.

L’impact de cette publication est considérable. « L’Aurore » tire 300000 exemplaires pour l’occasion, et le cri « J’accuse » retentit dans les rues de Paris2627. Cette intervention spectaculaire de l’écrivain le plus célèbre de France transforme une affaire judiciaire en crise politique majeure2627. Zola sait qu’il s’expose à des poursuites, mais il accepte ce sacrifice pour faire éclater la vérité2627.

La Pétition des Intellectuels

Dès le lendemain de la publication de « J’accuse », une « pétition des intellectuels » est lancée en soutien à Zola27. Cette mobilisation, inédite dans l’histoire de France, rassemble des écrivains, des professeurs, des artistes et des scientifiques autour de la défense de la justice27. Cette pétition marque la naissance du concept moderne d’intellectuel engagé27.

Parmi les signataires figurent Anatole France, Marcel Proust, Charles Péguy, Octave Mirbeau, et de nombreux universitaires27. Cette solidarité intellectuelle donne une dimension culturelle et morale à l’affaire, transformant le combat pour Dreyfus en lutte pour les valeurs républicaines27.

Le Procès Zola et ses Conséquences

En février 1898, Zola est traduit en cour d’assises pour diffamation2728. Le procès, qui donne lieu à de violentes altercations entre les témoins, met au grand jour les failles de l’accusation contre Dreyfus2728. Bien que le président de la Cour interdise de parler de l’affaire Dreyfus, plus de cent témoins parviennent à s’exprimer28.

Zola est condamné le 23 février au maximum de la peine: un an de prison et 3000 francs d’amende2728. Mais le procès a atteint son objectif: révéler l’insuffisance des preuves contre Dreyfus et mobiliser l’opinion publique2728. L’écrivain s’exile à Londres pour éviter la prison, mais son sacrifice a déjà porté ses fruits2728.

La Division de la France

L’affaire Dreyfus divise profondément la société française en deux camps irréconciliables1329. Les « dreyfusards » rassemblent les défenseurs de la justice, de la vérité et des droits de l’homme, tandis que les « antidreyfusards » privilégient l’autorité militaire, l’ordre établi et les valeurs nationalistes1329.

Cette division traverse toutes les couches sociales, sépare les familles et divise même les partis politiques2930. Les journaux se positionnent clairement: « L’Aurore », « Le Siècle », « La Petite République » soutiennent la révision, tandis que « L’Intransigeant », « Le Petit Journal », « La Libre Parole » défendent l’armée30.

Les antidreyfusards, majoritaires au début, affichent ouvertement leur antisémitisme, leur nationalisme et leur culte de l’armée29. Ils considèrent que l’honneur de la patrie et de l’institution militaire passe avant la justice individuelle29. Les dreyfusards, quant à eux, incarnent les valeurs républicaines et démocratiques, privilégiant la vérité et la justice sur la raison d’État29.

La Révision et la Réhabilitation

Le Suicide du Commandant Henry

En août 1898, un événement décisif survient: le commandant Henry, confronté à l’évidence de ses falsifications, se suicide dans sa cellule du Mont-Valérien27. Cette mort brutale révèle l’ampleur de la machination et provoque l’effondrement de l’accusation contre Dreyfus27. Le « faux Henry » devient le symbole de la corruption qui gangrène l’état-major27.

Cette révélation contraint le gouvernement à agir. Le ministre de la Guerre, Godefroy Cavaignac, qui avait publiquement défendu l’authenticité des documents, doit démissionner27. La pression de l’opinion publique, désormais majoritairement acquise à la cause dreyfusarde, devient irrésistible27.

Le Premier Arrêt de Cassation

Le 3 juin 1899, après un long travail d’instruction, la Cour de cassation casse et annule le jugement du 22 décembre 18943132. Les chambres réunies reconnaissent l’existence de faits nouveaux et renvoient l’affaire devant le conseil de guerre de Rennes3132. Cette décision constitue une première victoire pour les dreyfusards, même si elle ne proclame pas encore l’innocence de Dreyfus3132.

Alfred Dreyfus quitte l’île du Diable le 9 juin 1899 après 1517 jours de captivité1719. Son retour en France métropolitaine suscite une émotion considérable et relance les passions politiques19. L’homme qui débarque à Quiberon le 1er juillet 1899 est physiquement marqué par l’épreuve, mais moralement intact19.

Le Procès de Rennes

Le procès en révision s’ouvre le 7 août 1899 dans la salle des fêtes du lycée de Rennes3332. La ville bretonne, réputée calme, a été choisie pour éviter les troubles parisiens, mais elle se révèle majoritairement antidreyfusarde33. Un seul journal local, « L’Avenir », soutient la cause de Dreyfus33.

Les débats sont tumultueux et révèlent les divisions profondes de la société française3332. Dreyfus, défendu par Maîtres Fernand Labori et Charles Demange, doit affronter un conseil de guerre encore largement hostile33. Le 31 août, un attentat contre Labori, touché d’une balle dans le dos, illustre l’atmosphère de violence qui entoure le procès33.

Contre toute attente, le 9 septembre 1899, le conseil de guerre de Rennes condamne à nouveau Dreyfus à dix ans de détention par cinq voix contre deux, avec des « circonstances atténuantes »1133. Cette décision, qui maintient la culpabilité de Dreyfus malgré l’effondrement de l’accusation, provoque l’indignation des dreyfusards1133.

La Grâce Présidentielle

Le président Émile Loubet, soucieux d’apaiser les tensions, gracie Alfred Dreyfus le 19 septembre 18991132. Cette mesure de clémence, négociée par le gouvernement Waldeck-Rousseau, permet au capitaine de retrouver sa liberté sans attendre une nouvelle révision1132. Dreyfus, épuisé par l’épreuve et poussé par sa famille, accepte cette grâce malgré ses réticences1132.

Cette décision suscite des critiques parmi les dreyfusards les plus intransigeants, qui y voient un compromis inacceptable15. Picquart et Labori reprochent à Dreyfus d’avoir privilégié sa vie privée au combat symbolique pour la justice15. Ces tensions révèlent les limites de la solidarité dreyfusarde et les difficultés de la réconciliation nationale15.

La Réhabilitation Définitive

Malgré la grâce, Alfred Dreyfus continue de réclamer sa réhabilitation complète32. En 1903, Jean Jaurès relance l’affaire devant la Chambre des députés les 6 et 7 avril3234. Le ministre de la Guerre, le général Louis André, lance une enquête administrative qui met en évidence les manœuvres de l’état-major et les faux destinés à condamner Dreyfus3234.

Ces nouveaux éléments autorisent un pourvoi en cassation. Le 12 juillet 1906, les chambres réunies de la Cour de cassation rendent leur arrêt historique313534: « Attendu, en dernière analyse, que de l’accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout, et que l’annulation du jugement du conseil de guerre ne laisse rien subsister qui puisse, à charge, être qualifié de crime ou délit »313534.

Cette décision, qui casse le jugement de Rennes sans renvoi, proclame définitivement l’innocence de Dreyfus313534. Le 13 juillet 1906, le Parlement vote une loi le réintégrant dans l’armée avec le grade de chef d’escadron3114. Le 21 juillet, il est fait chevalier de la Légion d’honneur dans la cour de l’École militaire, près de l’endroit où il avait été dégradé onze ans plus tôt3414.

L’Après-Affaire et l’Héritage

La Poursuite de la Carrière Militaire

Après sa réhabilitation, Alfred Dreyfus reprend du service actif3634. Il est nommé à la direction d’artillerie de Vincennes, puis désigné pour commander l’artillerie de l’arrondissement de Saint-Denis36. Cependant, ses années de bagne ne sont pas prises en compte dans son avancement, ce qui constitue une injustice supplémentaire36.

Admis à la retraite en octobre 1907, Dreyfus est cependant rappelé lors de la Grande Guerre36. Il est d’abord affecté à l’état-major de l’artillerie du camp retranché de Paris, puis en 1917 à un parc d’artillerie divisionnaire36. Il participe notamment aux combats du Chemin des Dames et de Verdun, servant la France avec la même abnégation qu’avant l’affaire3.

L’Évolution de la Mémoire

L’affaire Dreyfus laisse des traces profondes dans la société française3738. Les clivages entre dreyfusards et antidreyfusards se perpétuent bien au-delà de 1906, influençant les débats politiques du XXe siècle3738. L’antisémitisme révélé par l’affaire trouvera son paroxysme sous le régime de Vichy, où l’on retrouve « les passions, les thèmes et même souvent les mots » de l’antisémitisme de la fin du XIXe siècle38.

Paradoxalement, Alfred Dreyfus lui-même reste longtemps dans l’ombre de son affaire39. L’histoire retient davantage les figures de Zola, Picquart ou Jaurès que celle de la victime elle-même39. Cette situation évoluera progressivement, et Dreyfus sera finalement reconnu comme un symbole de courage civique et de fidélité aux principes républicains39.

La Reconnaissance Tardive

En 2025, plus de 120 ans après le début de l’affaire, Alfred Dreyfus reçoit enfin une reconnaissance posthume exceptionnelle4041. L’Assemblée nationale adopte à l’unanimité une loi l’élevant au grade de général de brigade à titre posthume4041. Cette décision, portée par Gabriel Attal, vise à réparer symboliquement l’injustice dont il a été victime4041.

Cette réhabilitation ultime s’inscrit dans une volonté de justice mémorielle et de réparation morale4041. Elle constitue également un message républicain fort contre l’antisémitisme et pour la défense des valeurs démocratiques4041. Comme le souligne l’historien Vincent Duclert, cette reconnaissance va au-delà du symbole en réparant « ce qui était une dernière injustice »41.

Conclusion

L’histoire du capitaine Alfred Dreyfus dépasse largement le cadre d’une simple erreur judiciaire. Elle révèle les fractures profondes de la société française de la fin du XIXe siècle et pose des questions universelles sur la justice, la vérité et le courage face à l’oppression. Dreyfus, par sa dignité dans l’épreuve et sa foi inébranlable en la justice, incarne les valeurs républicaines face aux forces de l’intolérance et de l’autoritarisme.

Son combat, soutenu par une mobilisation intellectuelle et citoyenne exceptionnelle, a contribué à renforcer les institutions démocratiques françaises et à affirmer le primat du droit sur la raison d’État. L’affaire Dreyfus reste aujourd’hui un symbole universel de la lutte contre l’injustice et un rappel permanent de la vigilance nécessaire pour préserver les droits de l’homme et les valeurs démocratiques.

La récente élévation d’Alfred Dreyfus au grade de général de brigade illustre la capacité de la République française à reconnaître ses erreurs et à honorer la mémoire de ceux qui ont souffert pour la justice. Cette reconnaissance tardive mais solennelle clôt symboliquement une page douloureuse de l’histoire de France tout en réaffirmant l’attachement de la nation aux principes d’égalité et de justice qui fondent la République.

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